On m’a proposé de composer une visite de terrain de la ville haute à Granville dans le cadre du colloque « le rapport affectif au lieu », organisé à Cerisy-la-Salle en juin 2018. J’ai accepté sans connaitre la ville.
J’avais prévu m’y rendre le 15 avril pour un repérage en bonne et due forme.
Le 30 mars, à 18h30, je suis sortie du travail (lassée – pile à l’heure), j’ai traversé la rue pour aller boire un verre de vin-nature au « Comptoir », le long de la N12, pour honorer l’arrivée du week-end en attendant que mon compagnon ne passe me prendre pour qu’on se rende, avec ses deux enfants, chez sa mère pour le week-end.
A 18h34 donc, je passais la porte du Comptoir. Il y avait plus d’amies que d’habitude. J’ai commandé un Muscadet avec un air perplexe. Ma belle-sœur, qui tient cette épicerie-bar-cantine-bio-local avec l’énergie communicative d’une nana-benz sur le marché de Lomé, m’a servi un verre et m’a tendu une carte postale.
Au dos c’était écrit: « Bois ce verre cul sec, remets ta veste, et ne pose plus de question ».
Je n’ai vu ni mes belles-filles, ni ma belle-mère, ni mon compagnon ce week-end-là.
A Pré-en-Pail, en Mayenne, à l’angle de la Rue Aristide Briand et de la rue Amédée Fichet, après m’avoir fait faire, dans l’ivresse de la surprise, une valise absurde -une brosse à dents, 7 culottes, un maillot de bain, un pull en laine, un paréo, une marinière et une photo de Matthieu- , on m’a bandé les yeux, servi du champagne, roulé une cigarette, assise dans une voiture qui sentait les cacahuètes et le saucisson.
Bruit de moteur, verres qui s’entrechoquent et musique à donf.
Le 30 mars, à 19h05, on m’enlevait, comme dans les films de midinettes, pour « enterrer ma vie de jeune fille ». Au bout d’une bonne demie heure de route les yeux bandés, à rire, à boire, à savourer l’émotion bête et forte de se sentir emmener ailleurs par ses bonnes copines, ses vielles potes, ses amies d’enfance, navigant en pleine confiance vers une destination inconnue, j’ai demandé à ce qu’on s’arrête. Il fallait que j’aille aux toilettes. J’ai ôté le foulard et jaugé mon début d’ébriété sur les wc à la turque d’un village normand dont j’ai oublié le nom. Magali a rebranché le GPS: nous étions rue des chéris. Une grosse heure plus tard nous arrivions. 20h47, Granville, Ville Haute.
C’est comme ça que j’ai découvert cet endroit, parcouru les lieux dans des états divers. Depuis j’ai eu beau y retourner plusieurs fois, repérer, pour de vrai, pour vous, pour la visite: foutu. Granville, Ville Haute, pour moi c’est cette première fois-là. Je n’aime pas les morceaux de patrimoine un peu trop figés. Je n’aime pas qu’on conduise mon regard vers un morceau de mer choisi. Je n’aime pas les ruelles mortes, où il ne serait plus question que d’art et de cartes postales. Je n’aime pas me reconnaitre dans les touristes hébétés, appareil photo en bandoulière. Ce jour-là, prise de court, je n’avais qu’un smartphone. Et nous allions sans autre but que d’être ensembles.
Je propose donc, grâce au plan qui vous a été confié, et en vous invitant à lire chacun des articles suivants à l’endroit où il a pris corps, de partager avec vous cette errance.